La
résistance des élèves Brestois repliés à Scaër
A
Scaër. haut-lieu de la Résistance, les enfants se demandent pourquoi l'armée
allemande occupe l'école, les obligeant à jouer place de la Mairie ou du Champ
de Foire et à suivre les cours dans les cafés, hangars, garages et salles de
danse. Ils se vengent comme ils
peuvent. Ainsi le jeune Étienne
Gourlay d'Elliant, qui assiste en 1943 au départ d'éléments de l'Afrika Corps
et à l'arrivée de « Russes blancs », se dit que ces soldats des steppes méritent
d'être initiés aux merveilles de notre civilisation et en particulier à
l'usage de la bicyclette! L'endroit
idéal c'est le terrain de sport de l'A.S.S. que l'ennemi a transformé en
terrain de manœuvre truffé de trous individuels propices à accueillir des
mitrailleuses et fusils-mitrailleurs. Ce
terrain de football était délimité par des talus au pied desquels les
Allemands avaient creusé des tranchées.
Ce terrain comprenait deux parties dont une plus élevée, intéressante
pour prendre de la vitesse une fois la petite reine enfourchée... Quelle joie
pour les gamins de voir ces Ukrainiens apprendre à monter à vélo, lancés du
haut du plan incliné pour réaliser tant bien que mal la descente de ce stade
accidenté, négociant mal le bas de la descente, se fichant tout droit dans le
talus, les tranchées, ou dans le tas de sciure de la fosse de saut en longueur,
certains se relevant avec peine, le vélo en piteux état, les roues voilées,
s'attirant de surcroît les foudres des instructeurs...
Les
élèves venus de Brest auront aussi une scolarité mouvementée. Lejeune Joseph
Guillou, le transfuge du likès, scolarisé à Moëlan, lit dans la presse le
repli du lycée Saint-Louis de Brest sur Scaër.
En octobre 194 1, il y retrouve alors ses copains, Bébert Kermorgan,
Youn Guernic, Keruzoré, Broch, Jean Cozic, Le Gros, Le Gall et tous les autres.
L'histoire sera apprise dans le livre réalisé en collaboration avec (
Tintin » Guillermic, le professeur de Brest.
Sur l'équipe enseignante, trois ou quatre professeurs seulement ne sont
pas des Pétainistes.
Les
potaches trouvent dur de défiler, devant le Préfet, main tendue, en chantant
Maréchal nous voilà». Certains
s'en plaignent: «on n'est pas là pour faire valoir les politiques, on est là
pour apprendre ».
Ces
jeunes ont l'appui de professeurs anglophiles, Louët et Le Normand, (Azor »
qui ont déjà fait la guerre. Le
professeur d'espagnol) qui
a fui Franco reste neutre. Le père
Joseph Bellec, régionaliste bretonnant suscite la méfiance des élèves qui
ont la vie rendue difficile par quelques militants Breiz Atao (1 20).
Des élèves seront renvoyés pour activités anti-pétainistes par un
professeur de français.
Le
petit Morin est pris en flagrant délit de « bris de Francisque ». Le
Hir, élève de terminale, a refusé de lever la main pour prêter
serment de fidélité au Maréchal. Ils sont expulsés du lycée comme Albert Kermorgan, résistant
en culotte courte, de la première heure.
Ce
jeune Brestois, né en 1925, qui a sur place un oncle facteur a le droit de
sortir. Il en profite alors pour
ravitailler ses copains en pain, denrée qui brillait alors par son absence.
Dur pour un «J3 » en période de croissance de subir ces restrictions
Bébert
imite le tonton et joue le rôle dangereux de facteur car les courriers
des internes sont lus, voire interdits par l'autorité.
Branelec en particulier joue la censure:
Comment, la bouffe n'est pas bonne'? les adultes font du trafic avec vos
tickets?... recommence ta lettre de suite! »
Aussi
assurait-il d'agréables liaisons avec les amis, les familles, des caches secrètes
dans les murs de la cour servant de relais.
«
Bébert » auditeur assidu de radio Londres, affranchit l'internat, l'informe
des nouvelles du monde.
Les
conditions de l'internat sont mauvaises du fait du surnombre d'élèves.
Les WC «en bois massif» bricolés à la mode des «biffins», prévus
pour dix, doivent faire face aux heures de pointe à plus de 300 candidats.
Le préposé à les vider à longueur de journée, c'est souvent le même
qui sert ce petit monde à table! Ce
«Mathurin» rompant le pain de la cantine, vraiment débordé, prend à peine
le temps de se laver les mains !
Avec
les élèves de l'école Saint-Alain logés dans les salles de danse Guernic et
chez Ida Bouédec près de la gare, ils vont mener parfois .d'impressionnants
raffuts. Ce sera le cas, lorsque
les Allemands vont envahir la zone dite « libre ». Les deux galettes du
soir jugées trop légères pour un souper, avec en plus, un 11 novembre que
personne ne pouvait célébrer, avaient mené les jeunes à hurler dans les rues
de Scaër avant d'être vite renvoyés à leurs dortoirs.
Là aussi un urinoir pour cent vingt élèves ne suffit pas et ce sont
les douches qui permettent la libération des vessies trop pleines.
Le
svstème "d" existe.
Le pion Pitch Floch coupe les cheveux «à pas cher ». Quant au vin
chaud de l'infirmerie, il encourage plus d'un à se dire malade et une fois alité,
à frotter le thermomètre contre les draps pour faire monter le mercure !
A
toute chose malheur est bon, comme ce jour où les élèves punis par le Père
« Sté » souffrent sur la traduction d'un vieux texte d'espagnol qui chance
inouïe leur sera proposé au baccalauréat.
Les punis glaneront tous les lauriers !
Parfois,
ces grands gaillards recevant deux biscuits caséinés s'entendent dire "
n'en mangez pas trop, ça dilate l'estomac». Avec deux biscuits transparents pas question de faire le
miracle de la multiplication des pains...
Le
café «jus de gland» arrose le tout. La
cueillette des glands à Pont-Aven permet de récupérer un petit pécule.
Le presbytère local se montre également accueillant envers « les nécessiteux
» et l'aide du recteur Tanguy et de son vicaire Francis Tanguy, professeur à
la retraite, dit « Bidouille », est fort appréciée.
Il
existe des récompenses malgré tout: les points de « satisfaction »distribués
par Marcel Chalm ou le curé et qui servent de transaction pou r les élèves en
quête de victuailles. De brillants
faussaires en font des copies.
Un jour, le Père Jacques, de Gourin, un Gaulliste sur le point de partir à Haïti, invite quelques jeunes à le suivre à Guiscriff: «Prenez vos impers pour cacher les miches de pain, et en route». Les navettes dureront trois jours avant que le stratagème ne soit découvert
Cette
égalité devant la pénurie fait que règne la camaraderie malgré les
divergences de vues et de mentalités. Il
y a bien sûr quelques clivages «Sudistes» et "Léonards»,
des pétainistes qui s'affichent, d'autres qui n'ont pas d'idées et ne se «
mouillent » pas, pourtant pas une bagarre ne semble avoir été engagée entre
pensionnaires, qui d'ailleurs ne se parlent guère.
Certains
élèves anti-nazis cassent leurs plumes sergent-major les fixent au bout de
plumes d'oiseaux ou de papiers mâchés, tricolores, qu'ils lancent avec des élastiques
pour les expédier bien en vue, hors de portée des maîtres, sur murs et
plafonds des locaux scolaires.
La
provocation est risquée quand on pense que certains professeurs s'étaient unis
pour rendus au presbytère de Pont-Aven pour demander à l'abbé Tanguy de cesser
de faire en chaire des sermons qui s'attaquaient aux < collabos», et que les
exclusions d'élèves sont une réalité.
La
colère des jeunes est pourtant dure à canaliser à raison d'un surveillant
pour 200 contestataires. Le Meur de
Landerneau, Ansquer, Dumazo, Corlay et les autres ne sont pas les derniers à se
plaindre du pion qui pénalise ceux qui décrètent de prier sans chapelet.
Un nommé Guéguen fera lever les cris de près de 500 gamins procédant
par vagues, au gré de ses déplacements, les plus proches restant évidemment
silencieux...
Avec
son cousin, les dimanches - où il n'est pas en colle - il récupère tous les
tracts « qui réchauffent le cœur », afin de les introduire à l'école.
Face
à ces agissements jugés « gaullistes », il est renvoyé le 15 mars 1942 avec
quelques camarades: Cheminant, Pustoch, Galliou de Brest, Corent de
Saint-Thurien. Difficile ensuite,
sans livret scolaire de se présenter au baccalauréat; la sanction pour ces élèves
est lourde de conséquence.
La
contestation, Albert Kermorgan l'entretient patriotiquement.
Faute de livrets, Guillou, Herlédan et d'autres élèves, mal vus du supérieur,
seront aussi insultés par le président du jury d'examen et collés à leur
baccalauréat. Ce sera partie remise et gagnée en 1943 pour Guillou qui décide
de préparer " math-élem" au maquis, avec les bons conseils de son frère,
professeur de mathématiques et physique au lycée de Lorient.
Les examens de «math-élem. » auront lieu les 6 ou 10 juin
1944...
La
colère va se porter en 1944 de façon plus marquée envers l'occupant. « Bébert
Kermorgan après un passage à Parigné Le Polin s'engage dans le maquis de Kernével,
assiste aux parachutages au moulin de Kéry, prend les armes, pour les grands
jours, avec les FFI de Le Fur puis le groupe de « Bob », à Scaër.
Christian
Quénéhervé( le monde scolaire Breton 1939-45)